Réminescence d'Alessa

J’ai l’impression d’avoir déjà tout vu, tout appris de ce monde qui m’a vu naître et mourir. J’ai l’impression que ma chair se souvient encore de la chaleur des flammes de cet enfer, de la piqûre de l’acier lacérant ma peau, l’odeur âcre du sang et de la mort. Tout ceci me semble familier, comme un cauchemar trop réel, comme si je l’avais déjà vécu dans une vie antérieure.

Pourtant, je suis en vie. Comme si tout cela n’avait jamais eu lieu, comme si je ne l’avais jamais vécu, tel le fantasme d’une vie trop remplie.

Cet étrange paradoxe me hante depuis que je suis sortie de ma cuve de réanimation. Ils ont dit qu’ils avaient ramenée mon âme des affres du néant, réimplantée celle-ci dans un corps remis à neuf à partir de mes cellules originales. Ils ont ajouté que la tempête sanglante n’était qu’un avant-goût de l’enfer, que la guerre commencée ce temps là devrait s’achever de nos nouvelles mains.

Lors de mes premiers pas dans ce monde qui m’a vu naître et mourir, je n’y ai rien reconnu, ni la splendeur des paysages d’antan, ni l’odeur des fleurs des champs, respectivement remplacés par des rideaux de nuages sombres et l’odeur suffocante du soufre. Même le désert qui m’a jadis vu naître n’a probablement plus rien à voir avec cet ailleurs qui me semble si lointain. En fait, je me suis vite rendue compte que ce monde là n’était plus que désolation et ruines, et ce depuis que le Voile s’est déchiré. Ainsi, tout le sang que mes frères et moi avons versé par le passé, ne fut qu’un sacrifice inutile. Tout était comme avant, en pire. Nous qui avons donné jusqu’à nos vies pour un avenir meilleur… Cet avenir là, dans lequel me voici revenue à la vie, n’a décidément rien de ce que nous espérions.

Sans doute est-ce pour cette raison que je suis de nouveau là, debout, à fouler ces terres devenues le théâtre du chaos. Après tout, je le sens en moi, aux tréfonds de mon âme, dès lors que mes mains caressent l’acier de mes lames ; tout ceci est trop familier. Mes anciens réflexes de combattante sont à peine émoussés, et je n’ai pas oublié les longues heures d’entraînement aux arts de la guerre ; c’est inscrit dans mon âme comme gravé dans la pierre. C’est resté là, intact, au fond de moi, et cette bête, ce fauve qui sommeille dans mon cœur ne demande qu’à être réveillé et à faire à nouveau couler le sang. Telara, entends-tu les rugissements de mon âme se mêler à ta propre plainte d’agonie, tels les cris des anciens dragons ?

Qu’importe après tout, que je n’ai pas pu aller au bout de mes rêves, lors de ma première existence ; j’étais faible et ignorante, mais la mort m’a rendu plus forte et plus sage. Elle a aussi affûté mes désirs de paix, afin que ces désirs qui m’animent tranchent en deux tous les obstacles qui se dresseront sur ma route. Qu’importe l’ennemi, son origine, qu’il soit d’ici-bas ou venu d’ailleurs, il ne pourra plus m’empêcher d’atteindre mon idéal.

C’est pourquoi j’utiliserais la machine à remonter le temps pour retourner en arrière, là où nous avions encore une chance de triompher des forces obscures de Regulos. Ce n’est pas seulement une question de devoir ou d’honneur ; en fait, ni l’un ni l’autre n’ont à voir avec ça. Mais parce que j’ai vu le chaos à venir. J’ai vu le monde tel qu’il sera lorsque nos enfants en hériteront ; n’est-ce pas une raison suffisante pour vouloir changer les choses ?

Que le vent porte ma voix ! Je suis Alessa, combattante de l’ancienne tribu Eth, guerrière de l'école du sabre volant, vétéran de la légion de la Rose des Sables, et je fais le serment de libérer Telara de toute menace, quelle qu’en soit son origine. Je ne connaîtrai plus la peur et ne craindrai plus la mort, pour les avoir déjà vaincues. Je ne reculerai devant aucun sacrifice nécessaire, et ne laisserai rien ni personne se mettre en travers de ma route. Que les dieux eux-mêmes entendent mon appel, car je ne connaîtrai aucune foi et suivrai ma propre loi. Que Regulos lui-même entende mon appel, car c’est moi qui prendrai sa tête pour la poser sur la tombe de mes frères.

Que vive Telara, libre de toute oppression !

Alors que la nuit va tomber sur Telara, je contemple ce ciel mourant aux reflets orangés. Tout ce que j'y vois n'est que le miroir de mes propres doutes, alors que j'aurai pu y trouver une myriade de souvenirs à partager avec mes amis.

Mes amis... Alors que nous sortions de la Tombe de Fer du roi Eliam, nous nous sommes réunis pour discuter, échanger des souvenirs lointains d'une autre existence. Et je me suis retrouvée à n'avoir pratiquement rien à dire. Secrètement, je suis peut-être un peu jalouse d'eux, qui pour la plupart, gardent des souvenirs bien nets de ce que fut leur vie antérieure, avant la mort et la résurrection. Quant à moi... Que me reste-t-il d'autres que ces images fugitives, celle du sable doré à perte de vue, ou celle de quelques personnes qui furent mes proches et dont je suis bien incapable de me rappeler le nom ?

Alors que mes frères d'armes et amis sont encore autour du feu à parler, rire, chanter, moi je me suis éloignée dans le vain espoir de me retrouver seule avec mes souvenirs fuyants; j'essaye de toutes mes forces de me rappeler de celle que j'étais mais peu de choses me reviennent en mémoire. Des images sur lesquelles je m'efforce de mettre un sens, des noms, des dates...

D'abord, ces étendues infinies de sable... C'est le plus facile je suppose, car au cours des voyages j'ai pu apercevoir, loin au sud de Libremarche, des plages fort ressemblantes à celles que j'entrevois dans mes souvenirs. Mon instinct me pousse à croire que ma terre de naissance se trouve là bas, au delà de cet immense étendue d'eau. Il faudra que je m'y rende pour confirmer ou infirmer cette tenace impression. Quant à l'époque exacte de ma première vie... Je ne peux qu'être approximative, mais compte tenu des différents manuscrits auxquels j'ai eu accès, cette première vie se situe près de l'arrivée de la Tempête Sanglante, il y a de cela mille ans au moins. Oui, je me souviens du chaos engendré par l'arrivée des Dragons sur Telara, je me souviens d'avoir rejoint cette lutte... Mais pour quelles raisons ?

Pour ce point, peut-être devrais-je y voir un lien avec cet homme dont je revois le visage. J'ignore tout de lui, mais là encore, une sorte d'instinct ancien, une vieille réminiscence me pousse à croire que cet homme fut mon époux; bien que je n'ai pas la moindre certitude à ce sujet, mon cœur semble me l'indiquer comme tel. Son nom, lui aussi est tombé dans les abimes, de même que celui de notre enfant; cette cicatrice bien nette sur mon bas-ventre, bien en dessous de celle laissée par l'arme qui me fut fatale, ne tromperai aucune accoucheuse... J'ai donné la vie, c'est une certitude...

Pourquoi n'ai-je point le moindre souvenir de ceux qui furent sans doute les deux amours de ma vie ? Je commence à croire que mon retour à la vie ne s'est pas bien déroulé, que quelque chose a échoué dans la transmutation de mon âme ancienne en ce corps; le processus a peut-être connu une ratée quelconque, qui me vaudrait cette amnésie partielle. Sylver Valis lui-même n'a su me répondre à ce sujet qui semble assez tabou : nous sommes des êtres élus, nous ne pouvons qu'être un symbole de perfection aux yeux de nos concepteurs ou même de toutes les personnes qui ne sont pas issues de ce processus.

Il n'empêche, je demeurerai incomplète tant que je n'aurai retrouvé cette part de mémoire qui me fait défaut. J'ai besoin de ces réponses pour avancer dans cette nouvelle existence... Plus que tout autre chose, j'ai besoin de savoir d'où je viens et tout ce que j'ai laissé derrière moi... Ce vieux proverbe Eth en est la parfaite illustration : "Qui connait bien son passé peut envisager l'avenir"... Je dois retrouver les pièces manquantes à mon énigme personnelle.

Bien sûr, la guerre actuelle ne me permet pas de laisser tout tomber pour aller à la recherche de ces réponses. Mais j'espère qu'au cours de mes voyages, je pourrais retrouver tout ce que j'ai perdu, et me souvenir de tout ce que j'ai oublié... Qui sait... Peut-être qu'en foulant ces terres qui me semblent miennes, comme l'eau qui sort des entrailles de la terre, des souvenirs reviendront à la surface de ma mémoire... Plus que tout je le souhaites.

Il est un proverbe ancien, tiré du grand recueil des 2000 adages d'Al Hazoun, qui dit : "Le désert sait se montrer protecteur, envers qui sait l'aimer".

C'est bien là la première chose qui m'est venue à l'esprit, alors que j'accomplissais mes premières foulées dans le sable d'argent de Sable-Chatoyant... Cette connaissance ancestrale, lointaine comme jamais... Ceci, et puis le sentiment d'avoir fait corps avec ces étendues infinies de dunes... Oui, ma chair se souvient d'avoir mûri ici, sous ce soleil de plomb, tout comme mes jambes se souviennent des longues heures de marche, très pénibles, en travers des dunes.

Quant à Al Hazoun... Avant même de me souvenir des lointaines origines de mon clan, je me suis souvenue des proverbes de celui qui fut considéré comme le plus grand orateur et poète de son temps, bien avant l'époque de ma première existence. Ses adages sont une partie de ma culture, ils sont en moi comme le souvenir de ces étendues sablonneuses; c'est resté intact, n'attendant qu'à se rappeler à ma mémoire. Instinctivement, je m'y accroche, et tous les jours de nouveaux adages me reviennent en tête.
Dans la grande bibliothèque de Meridian, j'ai eu l'occasion de vérifier les origines d'Al Hazoun; j'ai alors pu apprendre vers quelle époque j'ai moi-même vécu (c'était il y a vraiment très longtemps en définitive), tout comme j'ai pu apprendre qu'un peuple de nomade de Sable-chatoyant se réclamait de cette culture que je partage : les Khalitis.

Je les ai rencontrés. Leur chef a dit en me voyant : "Les Khalitis, descendants du clan Nezzar, vous offrent leur eau, voyageuse". Un souvenir fugace m'a alors traversé de part en part, et je leur ai dit : "Je suis la fille de Nebuchad, ton ancêtre.". Le nomade en a eu les larmes aux yeux, et il s'est jeté à mes pieds. "N'abandonne pas ton eau au désert, mon frère" lui ais-je dit, connaissant le prix de la moindre larme versée en ces terres sèches et arides. Quoi qu'il en soit, cette homme, et partant, le clan entier des Khalitis, sont mes lointains descendants, les petits-fils des petits-fils des petit-fils de mes petits-fils, sur une très longue échelle.

J'ai partagé le repas fait de renard sauvage et de serpent grillés, j'ai partagé l'eau de la tribu. J'ai entendu ce qui restait de la sagesse d'Al Hazoun, en ces lieux où le temps ne semble pas s'écouler.

Et puis, j'ai demandé : "Sais-tu comment s'appelait la fille de Nebuchad, mon frère ?"

- Elle s'appelait Assa, me dit-il avant d'ajouter : Assa la courageuse, qui ne connut jamais la peur.

- Te rappelle-tu du nom de celui que Nebuchad choisit comme époux pour Assa ?

- Je m'en rappelle, ma sœur... Il s'appelait Ales, bien sûr. Ales le bon... Oui, Nebuchad avait choisi un bon époux pour sa fille unique.

- Peux-tu confirmer, mon frère, que dans le langage ancien, Alessa signifie "Assa l'épouse d'Ales" ?

- Je le confirme, ma sœur. C'était une des coutumes que l'épouse croise son prénom avec celui de son époux.

- Je vois. Dernière question : sais-tu comment s'appelait l'enfant d'Alessa ?

- Je le sais, ma sœur : il s'appelait Izil."

Ce nuit là, dans le refuge des Khalitis, mon sommeil fut agité et difficile. Ce que je venait d'apprendre au sujet de mes origines et de ma famille me troublait au plus haut point, et pour cause : je n'avais jusque là, pas su m'en rappeler toute seule. Et puis, je m'interrogeais : qu'était-il advenu d'Ales et Izil, mon époux et mon fils ? Pour sûr, leurs corps avaient rejoint le sable à présent, et ce depuis des milliers d'années, mais j'ignorais toujours l'essentiel : comment, Ales et moi, en sommes-nous venus à rejoindre la lutte contre les Dragons ? Mon époux trouva-t'il, comme moi, la mort dans ce sanglant combat ? Qu'advint-il de notre enfant ?

Alors que je pensais trouver des réponses à mes questions, de nouvelles questions se mirent en travers de mon chemin, m'empêchant de trouver, sur l'instant, un repos réparateur; sur le long terme, une voie dans laquelle je serai libérée de mes doutes quant à ce lointain passé qui constitue mes seules racines.

Al Hazoun a dit : "Le temps apporte toujours son lot de réponses aux questions que l'on se pose". Et c'est beau.
Le tout est de savoir si, en plus d'être beau, c'est vrai, finalement...

(Merci Rabbah, tu m'as motivé à continuer mon p'tit rp )




Dans le monde qui est aujourd'hui le mien, ce monde qui m'accueille et qui est pourtant à des millénaires de celui qui m'a vu naître, je l'ai dit, j'expérimente de nombreux sentiments nouveaux, dont celui de n'être point à ma place. A l'heure où la sagesse ancestrale du désert à laissé place aux dictats de la "mode", et où la fréquentation des grandes villes et des habitudes citadines a considérablement allégé les mœurs pour une société infiniment plus libérale et libérée, je me sens comme une ancienne, une aïeule acariâtre enfermée dans ses souvenirs d'un autre temps où les choses étaient différentes, et pas qu'un peu. Un débris d'une autre époque, totalement dépassé, inusité, une Eth de musée, une ruine archéologique qu'on viendrait de déterrer pour l'exposer au regard juge du monde contemporain.

A Meridian, les femmes se préoccupent de savoir quelle tenue porter, plutôt que d'affûter leurs lames pour les nombreux combats qui nous attendent. Même les hommes d'ailleurs... Les Femmes s'accouplent entre elles, chose qui aurait probablement valu la peine d'exil et le reniement de la part de tout un clan, à mon époque. On mange des racines... Mais dans quel monde on vit ?!

Bon, il faut quand même admettre que nous ne passons pas la totalité de notre temps à nous battre, que ce soit contre des engeances des plans, des donjons, ou de l'autre rive au delà du seuil de Fondrière. C'est alors que je décidais d'occuper mon temps libre en cuisinant, comme le faisait les femmes de mon clan, comme je l'eut fais en mon temps, en dehors des périodes migratoires du clan. L'homme chasse, la femme cuisine, c'est dans l'ordre des choses tel que je l'ai toujours connu, et ça me va comme cela.

Pourtant, il est une preuve de plus que le monde a bien changé.

Un jour, j'ai fait goûter aux hommes et femmes de la Rose, mes biscuits sablés. Sablés au sens propre du terme, puisque mon clan avait l'habitude, par pauvreté et donc manque de matières nobles pour cuisiner, d'incorporer une part de sable à toutes les préparations culinaires. Mes sablés sont donc un logique mélange de farine, sable, sucre et divers ingrédients purement gustatifs; j'ai appliqué à la lettre la recette exacte de ces biscuits, et les ai donc servis à tous.
Les réactions furent vives, et je m'attiraient bientôt les moquerie de tout le monde, comme quoi je voulais les empoisonner. Pourtant, ces gâteaux, pour les avoir moi-même mangés, il n'ont rien de spécial, ils se mangent, ils sont comestibles. Je ne comprends pas. On me demanda pourquoi je mettais du sable dans mes biscuits, et je fit l'histoire de la tradition culinaire du clan Nezzar : comme nous étions pauvres et que les repas étaient maigres, nous avions l'habitude d'ingérer du sable pour combler le vide qu'aurait laissé un repas normal dans nos estomacs. L'histoire orale ajoute que ce serait grâce à cette coutume que les gens du clan Nezzar avait acquis leur force physique et mentale et leur résistance physiologique exceptionnelle.
Le plus ironique dans l'histoire étant que, tous mes compatriotes descendant de près ou de loin de l'empire Eth ont forcément connus cette coutume, pas forcément directement mais par leurs ascendants très certainement. Aussi, quand ils crachent sur ma cuisine, ils crachent sur leur propre culture. C'est d'un triste...

En fait, ça me rend profondément triste de savoir que, la seule chose que je puisse faire en dehors de me battre, suscite tant de dédain autour de moi. Cela accentue également mon malaise et ma sensation de ne pas appartenir à ce monde, d'en être une parfaite étrangère; et cela, on me le fait énormément ressentir par cette voie là. Mais d'un autre côté, je les comprends tous : ce monde est infiniment plus ouvert que celui qui fut le nôtre, et tout le monde tire profit de cette liberté autant qu'il peut. Oui, aujourd'hui ma coutume est rendue caduque, dépassée, marginale, et l'on peut certainement se passer de manger du sable du fait de l'abondance de nourriture dans les villes. Cependant, moi, ces coutumes c'est les seules choses qu'il me reste...

Peut-être aussi devrais-je arrêter de partager cela, et retourner vivre à l'écart, dans mon Kumshahl natal, dans la solitude qui fut la nôtre à mon époque; peut-être devrais-je arrêter de faire cet effort constant d'intégration et de partage, puisqu'au fond, personne n'en veut, personne ne veut se rappeler de ces temps lointains et difficiles alors que la vie offerte aujourd'hui est tellement simple et l'existence confortable.
Ou alors, peut-être devrais-je me plier aux coutumes et mœurs nouvelles, et me trouver une femme; mon père se retournerait dans le sable où il repose, Al Hazoun l'en préserve. Le déshonneur sur mon clan pour les générations à venir... Non, je ne puis agir ainsi !

Ainsi dois-je me contenter de continuer à être la risée des miens, puisque cette voie est la seule qui me soit offerte. Que mes ancêtres me protègent sur ce sentier difficile, puisque je n'ai qu'eux vers qui me tourner.

Une soirée, assise sur une banc, quelques heures avec toi. Une soirée comme toutes les autres. Je regarde derrière moi et je ne voit plus rien de ce qui était; je regarde devant moi et je ne voit rien non-plus de ce qui sera.
C'est comme ça.

Si tu me regardes depuis les étoiles, tu sais. Tu sais combien d'efforts j'ai fourni, combien j'ai abandonné aussi, par espoir de ne pas être moi-même abandonnée. Tu sais combien tout ceci fut d'une vacuité sans nom, un puits de ténèbres, un sombre tunnel dont on ne voit pas la fin. Ce fut comme une évanescence, une petite mort avant l'heure, et tout ça pour quoi ? Pour pas grand-chose j'en ai bien peur.

J'ai essayé. De m'adapter aux nouveaux modes de pensée, aux nouvelles façons de vivre, aux nouveaux canons de la mode - rit. Oui, je le confesse non sans honte, que j'ai essayé, de toutes mes forces, de toute mon âme. D'avancer comme si tu n'avais jamais existé. J'ai prié aussi, beaucoup, que mon cœur ne se retrouve plus jamais brisé. Je me rend compte même, que finalement, je n'ai jamais cessé de chercher un petit peu de lumière dans ce monde de ténèbres. Une petite place pour moi, qui serait faite pour moi, un endroit où je pourrais retourner une fois toutes ces grandes choses accomplies. Et une personne avec qui partager un peu de tendresse.
Et tout ce que j'ai trouvé n'aura été qu'un néant encore plus profond. Le confins des abysses. Le fond du trou.

Et je pleure. Je pleure, non-pas parce que ces chemins ne m'ont mené à rien de ce que j'espérais, juste parce que je me suis perdue, et qu'à présent, il me semble qu'il n'y a plus rien, ni derrière moi, ni devant moi. Il me semble que le vent souffle plus fort, qu'il est plus froid, que le sable est plus rude, que la nourriture est moins bonne... Que la vie n'a plus de saveur. Que plus rien ne vaut la peine de rien.

Que je dois paraître en piteux état à ton doux regard.

Et pourtant, je sais que si tu étais là, tu saurais me rendre mon sourire; tu me caresserai la joue avec tendresse, tes doigts sècheraient mes yeux, tes bras seraient, encore, mes remparts contre le monde, et surtout, tu saurais trouver les mots qu'il faut pour me remonter le moral. Tu saurais faire renaître cet éclat de bonheur dans mes yeux, comme quand nous avons combattu et péri, ensemble. Tu me dirais que tu m'aimes et alors, plus rien d'autre ne compterait, et je serai la femme la plus heureuse au monde.

Mais... Tu n'est plus là. Tes doigts ne caressent plus mes joues, tes bras ne me protègent plus du monde, et tes mots, je ne peux plus les entendre. Comme tu me manques... Tout ce qu'il me reste, c'est une poignée de souvenirs, bien éparses, éparpillés, fragmentés comme sable au vent. Et sans toi je ne peux que chuter, me relever et chuter encore... Mais j'ignore combien de temps encore je pourrais tenir ce rythme infernal, cette houle insoutenable. Car je suis fatiguée, très fatiguée... A force de piétinements de dragons ou de coups de couteau dans le cœur, mon corps et mon esprit défaillissent, je me perds de plus en plus, je sens de puissants bras sortir du puits de ténèbres et me tirer vers le fond de l'abîme. Les forces me manquent... A chaque traction des bras de l'ombre, je peine à remonter, je perds du terrain, je m'enfonce un petit peu plus bien malgré moi, dans l'ombre. Mes ongles grattent la terre mais plus je me débat, plus je m'enfonce...

Mon tendre amour, j'aimerai que tu sois là pour me tendre la main, et me faire remonter de ce gouffre. J'aimerai que tu me dises que tu seras là, à côté de moi; que ta main m'aide à porter ma lance, que tes forces m'accompagnent dans tout ce que j'entreprends, juste ça... Et mon monde retrouverait un peu de la saveur de celui d'antan... Mon monde retrouverait juste un tout petit peu de lumière... Et je saurai que là est ma place, et nulle part ailleurs...

Que j'aimerai que tu sois là...



[C'est triste hein ?
Avec la musique, c'est pire : https://www.youtube.com/watch?v=JM17Jbc4BmU&feature=related
A vos risques et périls ! ]